Merci pour tout, Pierre

Par Solène Lavis le 2 Février 2022

Jean-Claude Hubert

Publié le 02/05/2020

Le seul fait de lire ce message signifie que vous êtes par vos activités professionnelles actuelles ou passées, attentif à la vie de l’association professionnelle qu’est l’ANADEF.


Si vous trouvez dans cette communauté d’experts des raisons de vous y investir, c’est qu’il y eut une équipe fondatrice et mieux un visionnaire qui avait su réunir tous les ingrédients d’une réussite il y a près de quarante ans. Une éternité pour les plus jeunes d’entre nous.

Il est des hommes, comme des évènements de la vie, certains marquent de leur empreinte indélébile par le patrimoine qu’ils confient aux générations qui leur succèdent. Pierre Marcé fut ce visionnaire et ce bâtisseur de patrimoine. Il nous a quittés le 4 septembre 2019, mais de sa retraite basque il suivait encore l’évolution de cette création humaine et professionnelle dont il fut le concepteur.

Sans refaire l’histoire de ce qu’est devenu l’ANADEF, il est important de se souvenir de l’entrée de l’électronique mais surtout des composants électroniques dans de nombreux équipements industriels, c’était au tout début des années 80. Pierre Marcé était ingénieur dans la prestigieuse organisation qu’était IBM ; il travaillait alors à Corbeil-Essonnes. Il avait vécu le passage des machines de bureau aux premiers calculateurs électroniques. Humaniste et ouvert aux autres, son réseau d’amis travaillant dans le secteur des équipements lui faisait part des relations difficiles qui s’instauraient entre fabricants de composants et intégrateurs.
Les pannes étaient fréquentes et il était toujours dur de trouver l’origine des incidents ; les fabricants de composants avaient la fâcheuse tendance à transférer la responsabilité vers leurs clients. Par son appartenance à IBM, fabricant de composants renommé et équipementier, Pierre compris très vite qu’il était indispensable d’établir des relations de confiance entre les deux mondes...

A la sortie des trente glorieuses, où tout était par essence confidentiel dans ce monde industriel, il était presque impossible de communiquer en confiance entre clients et fournisseurs et encore moins entre concurrents. Le génie de Pierre fut de croire que les hommes de bonne volonté pouvaient renverser ces barrières sans trahir ce qui était réellement secret dans leur activité professionnelle. Quand un composant était défaillant chez deux clients, son fabricant et ses deux clients avaient tout intérêt à se rencontrer pour trouver la voie factuelle, gagnant-gagnant, les « faits » quant à eux se trouvaient au coeur du procédé de fabrication de cette industrie naissante des composants électroniques : l’analyse de défaillance ouverte vers l’extérieur était née, comprendre les contraintes clients pour adapter le « design » au plus grand nombre d’usages...

Comment passer à l’étape, la première, de tout se dire comme des partenaires qui pouvaient avoir des intérêts divergents voire concurrents ? Pierre se fit apôtre de son concept d’échange en s’appuyant sur des « amis » qui partagèrent sa vision car confrontés aux mêmes difficultés. Leur notoriété professionnelle leur permit d’obtenir de leurs hiérarchies l’autorisation de rencontres informelles et presque confidentielles.

La deuxième étape fut mûrement réfléchie, le premier groupe de travail et d’échange sur les études de défaillances de composants électroniques était né, nous étions en 1983. Jusqu’en 1987, les réunions ne faisaient l’objet d’aucune trace écrite.

Pour que cette « plante » prenne racine, il fallait que les plus jeunes en soient aussi les acteurs, le premier groupe de travail inter-entreprises, début 1987, permit cet ensemencement générationnel, rapidement concrétisé par le premier Atelier (Workshop), tenu sans véritable support logistique et ouvert au-delà des seuls membres cooptés. Seuls la parole des membres fondateurs sur le nombre de participants et le paiement des frais d’hébergement calculés au plus juste suffirent : Cargèse 1, du 20 au 24 juin 1988, avec près de 65 participants. Une folie …

Entretemps le laboratoire qu’animait Pierre fut transféré en 84-85 à Pessac au sein d’IBM-COMPEC
car les composants, leur montage sur carte et les fabrications associées avaient pris
de l’importance au sein d’IBM. L’analyse de défaillance avait pignon sur rue, son apport en
situation de crise était reconnu. Pierre se rapprochait ainsi de son pays basque natal.



L’aventure était sur les rails.


Les échanges qu’entretenait Pierre au sein d’IBM, et en particulier avec la maison mère,
l’avaient convaincu que l’analyse de défaillance était un levier puissant de progrès à condition
qu’au-delà de la compétence technique, des valeurs soient respectées : honnêteté,
transparence, rigueur, vérité et humilité
. Pour cela l’intégration de nouveaux membres
dans l’équipe interentreprises initiale passait par la cooptation. Avant d’échanger, il n’y
avait plus de hiérarchie entre participants
 : la compétence, les faits techniques ou
scientifiques et la transparence dans la coopération étaient les seuls référentiels.

--Face au développement des activités et des participants, la dernière étape fut de trouver la
structure légale et administrative d’accueil de ce groupe. Ce ne fut pas la plus facile.
L’originalité et le succès de cet OVNI d’experts attirait les convoitises, non pas pour la
technique mais plutôt pour les profits potentiels qu’il représentait car les succès du premier « workshop », puis du second avec 78 participants, avaient fait le tour des chaumières d’un microcosme naissant. Pierre insista alors pour qu’il n’y ait aucun membre permanent salarié. Créer une association lui semblait trop lourd, ce fut donc (en 86) une forme d’hébergement administratif au sein de la SEE qui fut retenu, époque du Cercle 21-70.

Les workshops étaient devenus des Ateliers dont la notoriété et les participants croissaient régulièrement tous les deux ans. La formule résidentielle fut plébiscitée et se révéla un accélérateur d’échanges dans le respect des souhaits du fondateur.

C’est en 2000, alors en retraite mais cheville ouvrière infatigable (et bénévole) Pierre donna l’impulsion pour le passage au statut d’association autonome (Loi 1901), l’ANADEF. Une structure agile débarrassée de tout lest inutile et basée sur l’engagement et l’investissement de tous ses membres.

En 2018, après le 16ème Atelier, Pierre, tu étais heureux de constater que l’esprit de 1988 était toujours présent : le partage d’expérience avec cordialité, sincérité et confiance réciproque. Ta modestie cachait ta fierté d’avoir réussi une oeuvre professionnelle et humaniste vivante et active au-delà de toute contingence d’ego.

Merci Pierre pour tout ce que tu as fait pour la communauté française des experts en analyse de défaillance de composants électroniques au cours de ces 36 ans. Nous te devons tous tellement que ton départ est pour chacun d’entre nous un déchirement, mais aussi un formidable engagement pour faire fructifier le patrimoine, creuset d’expérience et de connaissance, que tu nous as confié avec toutes les nouvelles technologies qui, tout au long de ta carrière, soulevaient toujours ton enthousiasme … au moins autant que ta palmeraie urbaine de Biarritz qui occupa ta retraite.

Le 16 avril 2020,

Jean-Claude Hubert, avec JM.Chopin